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L'arc en cage.

27 Mai 2023

J'écoute la voix de Nathalie Sarraute diluer dans l'espace les souvenirs de sa mère. J'entends les images : la beauté de sa mère s'inscrivant sur les reflets d'une vitrine de coiffeur. Elle lui tient la main, elle la regarde.
Monte un souvenir ancré en moi depuis l'enfance, qui a l'accent d'un trait fort intéressant, par la suite, sur le chemin de ma vie : la ligne des sourcils.
Ma mère dans son désir d'épouser les effets de mode de son temps, de copier les actrices à l'écran d'Hollywood, s'était et, arraché les cils avec un recourbe-cils, (ils ont repoussé bien sûr, mais j'éprouve aujourd'hui encore, quelque gêne à utiliser cet objet) et surtout, s'était trop épilé les sourcils. Elle voulait ceux de Piaf et Garbo, en son temps. Par contre eux, eux n'ont jamais repoussé.
Si bien que toute sa vie, sa première tâche a été de les redessiner. Même encore, aujourd'hui, quand je la rejoins, ils sont bien plantés maladroitement sur son arcade, bien marrons, ils m'attendent !!! Au point que d'un doigt, délicatement, tout en l'embrassant, j'en atténue la ligne.
Je ne sais d'où me vient ce tempérament d'observation solitaire, ce besoin de regarder en silence et d'imprimer en moi, les sensations.
Chaque matin, avant de me confier la garde de mes petits frères, (car il fallait qu'elle s'absente pour aller faire quelques courses au marché), je la regardais se préparer, se maquiller.
Un petit miroir était posé sur le haut de la cheminée, elle crayonnait ses sourcils. Et quelquefois ça loupait ! Tout comme ça loupait aussi beaucoup, en ce temps-là , l'eye liner, œil de biche !
Donc, il fallait bien souvent effacer et reprendre ! On salivait sur un coin de mouchoir ou de coton, on frottait, on reprenait ! A l'époque, on crachait même sur un cake de mascara qu'on travaillait avec une petite brosse !...
Mais en s'y reprenant, c'était moins bien que la première fois ! Aie ! la journée était mal partie. Une inquiétude me gagnait au fur et à mesure que ça tempestait. Nous étions seule, dans la petite pièce qui donnait sur une cour calme. Peut-être un chant d'oiseau, en cage ?
Du coup, pour essayer de se consoler de ce trait raté, (il fallait filer, le marché allait fermer!!), elle tournait soudain ses regards vers moi, me fixait avec intérêt au milieu du front et s'exclamait, soulagée : " Toi aussi, ils sont pas pareils !! " ça la consolait.
Mais au fond de moi, j'impactais que quelque chose de ma constitution était ratée. Tout en suçant mon pouce consolateur, j'intégrais un à un, les détails qui m'avait éloignée de la perfection esthétique qui régentait cette partie de la famille : de gros genoux, des cheveux trop frisés dont on ne savait que faire, et des dents de travers !! Au point que lorsque mon oncle venait nous visiter, (si rarement notre cascadeur familial !), je les cachais dans ma serviette. "Il faudra les faire rectifier !", qu'il disait.
Un jour, que je déployais ce corps qui m'encombrait et dont je ne savais que faire, d'une table d'esthétique, après une épilation nécessaire, car là aussi, c'était raté ! Ma mère m'a fait don de cette remarque qui me fait sourire, aujourd'hui :
"Franchement si je t'avais faite, je t'aurais pas fait comme ça !!!"
Et ben voilà, j'y suis allée… j'ai avancé, bringuebalé toute tordue !! et lorsque la vie m'a donné de me retrouver maquilleuse, (sans en avoir franchement ressenti le désir en mon for intérieur, mais une opportunité se présentait), puis formatrice dans le domaine, tous mes stagiaires, toutes mes clientes sur le terrain, ont eu droit à cette belle théorie du sourcil qui est la base de l'harmonie d'un maquillage !
Faut le faire !
Merci à toi Nathalie Sarraute d'avoir fait monter ces mots en moi.
Petite révérence d'une danseuse qui n'est jamais montée se faufiler en haut d'un fil ! J'avais pas la beauté des jambes ! Et l'intrépidité des trapèzes.
L'arc en cage.
L'arc en cage.
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