PUCCINI ET LE PUNK
"You ! que je tuerai in white light secret cities, white light secret cities ... que l'auto-meurtre étrangle... Donne toi Girl ! Donne toi !! Aux pulsions de la mort qui me cernent .. Donne toi ! Vive ! Vive incise ! Comme une plaie sexuelle où ma lame comme lame de couteau s'enfonce ! » .
Zona inquinata. MKB Fraction Provisoire. Textes FJ. 1978-80.
Mes synthés turbinnaient pour éloigner l'assaut.
Les histoires de couple ça n’intéresse personne. Chacun incline à s’accorder que « ça va s’arranger tout seul » sur le zonzon de la position.
C’est ce qu’ils pensaient, ceux qui venaient chez nous comme on vient chez Grévin.
Scrutant le lit provincial de 120 cm, où nous dormions collés-serrés, durant toutes ces années. 120 comme « 120 battements » d’un chant si sourd, qu’il n’y a personne aujourd’hui, pour vouloir l’écouter.
C’était les comédiens, les membres de l’équipe qui venaient travailler au projet du «Trésor», quittant un temps leur appartement confortables parisiens, et qui regardaient cet espace, ironiques.
Il y eut même, suite à la présentation de « Morituri » à Cannes, un magazine de décoration en vogue qui, dans le cadre de la promo du film, nous contacta pour venir prendre de l’appart, des photos !
Misère ! Décliner !
FJ n’a jamais voulu donner un lieu de vie, à notre couple. Il n’avait aucun sens d’une signature intérieure décorative. A part ce lit … que les rayonnages de nos livres. Et ce fut quelque chose de les trier, lorsque nous nous séparâmes ! Des piles ! Au milieu de la pièce ! A toi, à moi ! Des bouquins qu’on se reprenait ! Que je subtilisais en douce, quand j’y revenais, avant de regagner la chambre de bonne où j’avais réussi à échouer !
Au mur, des textes, des affiches, un grand fauteuil d’avion en cuir vert, trouvé aux puces à Toulouse, qu’il n’avait jamais réussi à restaurer ! Sa table qui prenait tout la place, un coin de plantes vertes qui s’agrémentait de la lumière d’une terrasse.
A la cuisine, des meubles polonais que ma mère nous avait donnés, pour nous dépanner …et sur le mur, l’affiche de Jarmush, immense, « Stranger in Paradise »,
Ça tapissait.
Alors un photographe là-dedans !
J’aurais beaucoup aimé qu’il immortalise la crasse de la baignoire, quand je suis revenue, un été après, le jour où j’ai voulu faire la connaissance de la personne qui prenait mon relai ! Ça aussi FJ ça lui déplaisait ! Mais pourquoi donc ?! Y plus d’amour sur 120 qui s’enfuient !
Des lignées noires sur l’émail de la baignoire rappelaient le nombre de bains. Des traces au milieu de mes photos, de mes parfums et collages, de mes fringues, toujours restées. Des bavures jusqu’aux notes blanches noires du clavier de mon synthé où elle avait tenté de s’exercer.
Les plis d’une crasse où aujourd’hui encore, l’on tente de m’étouffer.
« -Tais-toi ! »
Mais avant ça, donc, mon coeur donnait des signes, et s’arrêtait de battre.
C’est ainsi que tout a commencé.
Sur ce manque de respiration, cette sensation d’étouffement. Le souffle.
Un jour, notre médecin m’a demandé, d’effectuer un électrocardiogramme.
On entendait peu mon coeur.
Les mesures se sont avérées rassurantes.
Mais, j’ai envisagé alors, de prendre des cours de chant. Ainsi, j’allais travailler ma diction, tenter de me défaire de mon accent, et préparer le rôle de « la jeune coréenne » qui était encore d’actualité.
C’est une amie critique de cinéma que j’avais croisée en festival, à Cannes notamment, qui m’a suggéré sa voisine.
Les cours ont commencé dans le Marais.
Je me précipitais, tous les samedis, les jours où je ne travaillais pas. Je montais l’escalier, rejoindre sa petite chambre exiguë, la table bancale où trônait sa tasse de boissons aux plantes, son pot de miel. J’ouvrais mes premières partitions et les touches de piano s’élevaient.
Muscler ! Travailler la résonance en bouche. Assurer les mouvements du diaphragme.
Peu à peu, en travaillant mes vocalises, je retrouvais le souffle.
Chanter en italien ne représentait aucune difficultés pour moi. J’avais à mon actif, des années de latin.
En russe, j’adorais !
Ma prof était très exigeante. Elle avait suivi les enseignements d’Elisabeth Schwarzkopf. Très rapidement, elle apprécia ma tessiture.
En un an, j’étais prête pour un premier concert privé. Mozart.
Je repartais de chez elle, tout le poids envolé !
A la maison, je m’étais équipée d’un mini orgue à piles, tout petit, pour me donner la note, et travailler chaque jour, une heure, afin d’être prête pour le cours du samedi suivant.
C’est une rigueur qui fut la mienne, de longues années. Mon petit piano me suivait partout.
Mes vocalises exaspéraient FJ, qui se précipitait alors sur la platine, y faire tourner un disque de vinyle !
Rock ! Il s’agissait là aussi, de me « clouer le bec »!
« Folle di gelosia
Vorrei tenerti stratta
Come una cosa mia ! »
« Les voisins aussi ça les exaspéraient » qu’il faisait remarquer ! Mais pas quand il s’agissait de brancher l’ampli pour des essais de sons basse.
« Vorrei non più soffrire |
Che un altro ti tocasse »
Or, plus tard, en habitant l’ile St Louis, j’ai apprécié les vocalises d’une voisine qui montaient dans la cour intérieure de l’immeuble ! Quand je marchais pour me rendre tout près à la bibliothèque Forney, étudier quelques heures, j’adorais, tout en fredonnant, entendre un jeune homme passer tout près de moi, chantonnant à tue-tête ! Il osait !
« Te lo giuro, non tremo
A vibrate il coltello
E con gocce di sangue
Fabbricarti un gioeiello !*
Bien sûr, dans les premiers temps, je n’avais pas le niveau. Mais comment font les voisins d’une gamine qui s’exerce au piano ?
Ces années-là, s’est formée ma culture au lyrique. Je me suis procurée tous les coffrets. Je les amenais jusque dans ma famille, en Asturies, surprise soudain, de ce changement musical.
Tout en travaillant ma philo, j’écoutais, je puisais dans le registre qui montait. Je me préparais pour mes leçons, au conservatoire d’Oviedo, où j’ai été initiée aux techniques du vocal espagnol. J’ai travaillé le maximum de techniques jusqu’à Toulouse, avec une cantatrice de renom.
L’un de mes plus beaux cadeaux fut la réflexion de mon oncle, en séjour ces mois-là, mon oncle cascadeur, amateur du fracas des tôles, qui me fit remarquer que j’avais une jolie voix !
Et dans ces montées en volutes, ce fût l’arrivée triomphale de « Norma ».
Les année Callas. Elle sut glisser sa main dans ma main, invisible, et me tirer vers d’autres sentiers, les bulles d’or de ses contre-ut ! Je retrouvais, en bouche, les fruits des sorbiers oiseleurs ! Le jus merveilleux de mes montagnes! La fraicheur glace pilée des sommets ! L’avant ces années difficiles, où dans mon jeune âge, je restais persuadée qu’on avait, à l’image du couple de mes parents, qu’un seul amour et qu’on devait tout lui sacrifier.
J’étais dans les trémolos du tragique.
« No place for me », c’était pas magique, malgré les apparences, dans cet appartement, où même mon nom n’apparaissait pas sur la boite aux lettres. Il fallait m’écrire « chez …», car GLB était « personne non grata » pour les charmes oh combien ! non discrets de cette chère famille du Cantal !
Aussi, dans les plis des murs, est montée secrète, inattendue, une voix.
Ma respiration en sourdine qui s’installait.
Quand je répétais au quai de la gare avec mon groupe MKB, quelquefois, pendant l’installation des différents instruments, je prenais le micro, je tentais. Je n’avais aucunement l’ambition de déloger notre leader, loin de moi l’idée ! Mais je testais ma voix. FJ me chassait derrière mon clavier. Les autres membres Jack, Olivier s’amusaient, surpris par cette nouveauté : mon chant.
J’aurais été tentée, peut-être, d’illustrer de ma tessiture, une présence dans nos morceaux. Ce que plus tard, les violons ont réussi à faire. Mais comment dans ces paroles tellement sexuellement transgressives et toxiques, glisser le fantôme d’un Chérubin ?
J’y ai renoncé.
Ma voix n’apparaît qu’une seule fois, quelques mots parlés, toujours aussi incompréhensibles et orientés. Fin d’un titre.
J’ai envie d’effacer, cette seule autorisation qui me fut concédée.
Ce n’est pas moi.
FJ, ne travaillait pas. Une fois, son diplôme de l’Idhec en poche, FR3 Rennes, un jour, l’a contacté. Ses parents l’exigeaient, qu’il travaille ! Son père en avait assez de vendre une parcelle de bois, chaque fois que la banque l’appelait pour combler le découvert que son fils lui laissait. Rien à faire. De FR3 Rennes, il est revenu gare Montparnasse, en larmes ! On lui avait demandé de monter un match de foot et ça s’était mal passé !
Fj ! Le foot !
Alors, je lui ai demandé d’arrêter.
Je continuais d’engranger les missions d’intérim sur Neuilly, histoire d’être quand même disponible, j’intervenais dans les boites de pub, de cosmétique, de magazines télé, ce qui me permettait quelquefois au retour, de m’arrêter au Halles, lui acheter un pantalon pour une soirée, ou de lui offrir une petite caméra et des bobines super 8 pour qu’il s’exerce encore à tourner.
Mais voilà, dans le lit « 120 battements », il lui arrivait soudain d’être pris d’un inspiration nocturne ! si bien que mes heures à assurer le lendemain au boulot, il n’en avait rien à cirer.
Et, écrire à cette époque-là, sur une machine à écrire, et toute une nuit, même les boules Quies n’y suffisaient pas.
Alors, je cherchais refuge, une minute ! 120 ! Pour essayer de dormir, dans le coin de la porte, par terre, contre l’entrée.
Alors il se levait, prenait un siège, me regardait en larmes, au sol, épuisée, me plantait son regard ironique et blessant pour cette pauvre salariée. Cigarette.
Au matin, maquillée au fond de teint professionnel, je reprenais, quand même le métro. Mes collègues cependant devinaient, en silence, et de leur silence, ils me réconfortaient.
J’aime beaucoup aujourd’hui encore, ces mots que me glisse une amie :
« - Qu’est-ce qu’on aime écouter ta voix ! » ou
« - Comment tu fais pour monter si haut ! »
C’est là qu’un jour, s’est logée, une amie, mon amie !
Silencieuse quelque part !
Inconnue !
Une amie, née d’un cri !
J'avance, je soulève un tulle puis l'autre, je déambule au fond des couloirs de l'enfance.
Sourdes déclinaisons de notes cristallines tout en cymbales, pour l’enfant en nous, qui cherche jusqu’à épuisement des forces, ces nappes de temps perdu qu'il ne visitera pas.
Je me glisse dans le placard au fond de la chambre, un réduit sombre où elles sont pendues.
Elles dorment sur un long fil qui se perd dans la noirceur du cagibi. Elles agitent leurs volets.
Je sens les textures, la lourdeur des manteaux, leurs poches profondes où je récolte
quelques brins de tabac, des Gitanes. Je m’enfouis dans l’éventail des jupes aux
vifs dessins géométriques, hume leurs senteurs de violette, retrouve une touche de Chamade ou de Coty.
Je retiens ce léger déplacement d’air qui s’enroule aux étoffes et frôle mes joues d’enfant.
J’y retrouve des costumes de fêtes, aux formes excessives vives colorées, gansés d’or, de sequins, cousus de paillettes d’or, qui sentent la sciure de la piste, me renvoient les éclats de rire d’un clown, la fanfare d’une corrida, l’immense cri de la foule ! Olé !
Alors se lève la cape de lumière qui vient s’inscrire comme un volet pour interrompre le flux continu du souvenir.
Le soleil m’écrase, me chauffe, me brûle.
Des mots reviennent en cascades, voix d’hommes de femmes, en langues étrangères, je n’en distingue pas le sens.
Je suis perdue dans le labyrinthe des plis quand m’interpelle le son d’une machine à coudre.