Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
ginalolabenzina.over-blog.com

BEYROUTH. Les fleurs blanches. Journal d'une maquilleuse.

12 Avril 2024

Beyrouth. Mayfair résidence. 11 novembre 1998.

 

Les fleurs non plus ne tiennent pas dans l’eau. Elles se fanent dès deux jours. Il a plu aujourd’hui, on a fini tôt.

J’ai marché dans Hamra. La température a baissé et avec la nuit qui vient si vite, les flaques d’eau, les trottoirs cabossés et inondés, l’automne semble là, comme une page tournée. Nous sommes loin des premiers jours et des chaleurs étouffantes et moites. Je me reproche mon chagrin, ma mélancolie. Toujours s’obstiner à vouloir retenir les choses ! On ne les espèrent plus, elles reviennent d’elles-mêmes, comme une revanche !

Il a fallu qu’ici, je retrouve au sein de l’équipe, un témoin de mon passé ! Quelqu’un que j’avais croisé, quinze ans plus tôt, à Paris, sur le quai du métro. Il connaissait le compagnon qui m’accompagnait, avait travaillé avec lui dans un laboratoire de post-synchronisation de Levallois-Perret. Il m’a reconnue, dès le premier contact, dans ces murs de la production, le palais d’un ancien chef d’état libanais. Ici, moi dont l’image s’était ternie avec le temps, moi qui ne briguais plus aucun poste de première assistante à la réalisation, qui ne jouais plus dans les films auxquels je participais, moi qui avais quitté la scène rock à la suite du suicide de notre bassiste, moi qui avais gagné les coulisses comme on gagne l’oubli, erré affectivement jusqu’à la rencontre du père de ma fille que j’avais congédié. J’étais là, à Beyrouth, dans une ville défigurée pour y cacher mes propres balafres, et chercher une reconstruction possible à travers ce travail de camouflage, d’embellissement, de travestissement des visages.

Maquilleuse.

Et le voilà, lui, devant moi, avec en mémoire, la beauté que j’avais perdue.

Fragile, attirant, parce qu’en possession d’une image oubliée que je voulais reprendre !

Ce ne fut pas facile. Les choses étaient parties de si peu. Ces choses que je ne voulais pas.

Travail oblige !

C’est l’état dans lequel nous étions, qui les a fait naître. Un état de bouleversement intérieur et de fatigue. C’est là, que les pulsions se font vives. Je pense aux tableaux de Bacon. Il a raison, c’est là, dans cette arène circonstanciée par l’urgence, le qui-vive, le bouleversement de nos habitudes à vivre, que les choses les plus fortes s’expriment.

Il pleut ce soir sur Beyrouth. L’orage, le ciel gris sombre. La ville n’en devient que plus mortelle, plus détruite, plus excentrique, inégalable de laideur et de désordre.

Ce soir l’avion décolle, passe très bas dans le ciel de la ville. L’aéroport n’est pas loin et l’ami retrouvé repart. Il quitte le tournage. Avant la fin. C’est rare, mais l’ambiance est insupportable.

Ce soir, j’écris parce que je m’ennuie. Je m’ennuie du trouble qu’il faisait naître en moi, libérée pourtant de ses inégalités de caractère. C’est le calme plat. Enfin s’est apaisé ce questionnement inlassable autour de toute cette histoire, cette complicité qui était plus forte que nous. J’attends maintenant que le film se poursuive. J’attends désormais en attendant, car on avance très lentement. On tourne très peu de plans.

Hier soir, j’ai accepté de sortir, pour ne pas attendre, ne rien attendre et puis, il y a eu ce coup de fil, son coup de fil, inattendu comme lui, irréaliste comme lui, sur le portable de Fredo, assis tout près de moi. Dans le brouhaha de la boîte, dans le tumulte qui se faisait en moi, j’ai retenu peu de choses, que je gagnais la sortie pour mieux saisir sa voix, l’adieu, … et seulement l’image des lumières colorées rouges, dehors..... le son des voitures qui passaient…

Le reste, j’ai emmuré.

Mes jours maintenant sont remplis de clignotements colorés, de sensations chaudes et ardentes aussi mystérieuses et majestueuses que celles de la calligraphie arabe qui sous-titre les films TV, ou s’agite sur les panneaux de la voie rapide qui mène à Djounieh.

A l'envers doit se lire l'écriture arabe, comme on retourne des pages, comme on retourne les cartes, comme on remonte pour relire différemment, et sous de nouvelles lueurs, les événements de la vie.

Je déambule dans les rues de Beyrouth cherchant à exorciser l'instant. Je reste persuadée que rien n'est fini. Qu'autre chose commence. Je quitterai cette ville un jour et bien d'autres fois encore, demain, tout à l'heure, chaque fois que je sentirai ce grand silence en moi, ce rien, ce plus jamais.

Heureusement, que j'ai me fleurs blanches qui se fanent si vite dans l'eau.

Heureusement, que leur parfum emplit si fort l'atmosphère du soir. Heureusement, qu’elles m’enivrent et me guérissent d’un parfum sucré qui ne me lâche pas !

Dans la poussière du décor, le bruit des voix désaccordées, demain, je plongerai, je chercherai l’oubli.

BEYROUTH. Les fleurs blanches. Journal d'une maquilleuse.
BEYROUTH. Les fleurs blanches. Journal d'une maquilleuse.
BEYROUTH. Les fleurs blanches. Journal d'une maquilleuse.
BEYROUTH. Les fleurs blanches. Journal d'une maquilleuse.
Partager cet article
Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article