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FRANCIS BACON. LE CRI.

17 Janvier 2020

 Francis Bacon. Triptych, Three studies for figures at base of crucifixion, 1944.

  De l'aplat orangé, sang altéré d'humeurs jaunes, typhus amaril, perchée comme capturée, isolée sur son échafaud-prothèse, - noir parallélépipède à barres d'échauffement -, La Figure s'exhibe, se dresse, se contorsionne, - tête chercheuse aux yeux aveugles -, pour tenter d'échapper à ce "champ opératoire" comme à toute contrainte d'immobilité, à cette sorte d'arène spatio-temporelle qui s'enrobe sous elle, non plus comme fond, ni comme "informel", mais comme trépied sacrificiel expulsé de ses ombres jusqu'à devenir planche d'herbes dressées, pals dorés sur le substrat incandescent qui fait naître le cri.

  Crucifiée-poule, Pythie-mollusque, phallique entre chien et loup, la Sphinx déploie l'oracle de "son corps sans organes" en constellation de spasmes temporaires et provisoires. Ils diffusent l'exacerbation, le bouillonnement des forces, tous les seuils d'intensité qu'elles dressent jusqu'à briser toute figuration, et n'exalter que les violences, les trouées de sensation.

  "Je veux peindre le cri plutôt que l'horreur" nous dit Bacon, qui parvient à isoler le cri comme on isole un fait, échappant à toute illustration factice, supprimant cet état d'âme qu'est l'horreur.

  Le cri, parce que par la bouche se rue le corps entier, l'ectoplasme, par l'un de ses organes, va pouvoir s'échapper, lui qui aspire, ailleurs, à se dissoudre par la pointe d'une seringue épidermique, pour fuir enfin et à jamais, cette double obsession de vivre et de mourir. ( cf.  Lying figure with hypodermic syringe, 1963 ).

  L'arène sacrificielle : un espace intensif circonscrit par l'arbitraires d'un rond, d'un cercle, l'ovale d'un meuble, d'un objet, la résille orthogonale d'une cage de verre, d'un parallélépipède de glace ..., qui agiront comme procédés d'isolation accidentels, dispositifs d'observation clinique, matrice opératoire d'où l'être corporel s'élance et se répand, tel un foetus né avant terme.

  Toute cette signalétique architectonique de pilastres fantasmatiques, de bandeaux et architraves rituels, n'a pas pour office de fixer cet abrégé du sensible, d'arrimer les dérèglements spasmodiques de la chair. Son bute c'est de forcer plus loin les noires incursions que cette chair dépense sur elle-même, comme une viande lacérée qui panique, cernée par les six croix du Tutuguri. ( A. Artaud, "Les Tarahumaras", L'Arbalète, 1963.)

  Sont abolies les métriques de la perspective qui assignaient à l'homme sa place au coeur même de l'espace; subverties, les planches anatomiques d'un Léonard, où le muscle s'amalgamait, triomphant, aux soutènements de la pierre. Nous sommes plongés dans les réseaux d'une scénographie morbide, d'où le corps en morceaux semble être expulsé comme de tout vrai lieu, impuissant à se recomposer sous la charte d'un regard.

  Cris possibles, retenus, proférés d'un fond que nous souffle l'hybris, sous le désordre épidermique de ces formes surgies par accident, de ces visages tuméfiés par leur course à travers le temps, qui n'apparaissent jamais deux fois semblables, dans la multiplicité des sphères athlétiques qu'ils visitent.

  Déchirures  de l'espace, cristallisations de hasards où s'enregistrent, par éclats, telles des chronophotographies de Muybridge, ces quanta d'énergie distribués de façon aléatoire par des coups de chiffon, des giclées de couleurs et empreintes à main nue, données sur la peinture encore fraîche, pour nous livrer des visages défaits et non identifiables, voués à l'anonymat de violences impersonnelles; C'est tout un inventaire d'expressions mobiles, transitoires qui anime de ressorts pernicieux, les faciès corrodés de la femme d'Odessa, de Lucian Freud, d'Innocent X, et dénature le groin d'Isabel Rawsthorne.

  L'agent, la maîtresse de ces dérèglements : la sensation.

  C'est elle qui exerce son droit de vivisection sur ce matériau corporel exacerbé par les couleurs de la viande, rouge et bleu, inflige ses plaies, ces traces et contorsions collectées aux zones limites de l'homme et de la bête, là où s'inscrivent " les premiers trajets des esprits animaux." ( Michel Foucault, 'Histoire de la Folie". UGC, 10/18.)

  Elle, encore, qui impose ses contractions et dilatations, insuffle les accords dissonants de ses diastoles et systoles, dans une sarabande effrénée qui ne dispense plus que par accident et de manière provisoire, temporaire, les formes d'organes reconnaissables, évadés de cette mêlée névrotique.

 

 - Gilroyer c'est tourner rond sur rond sur soi-même, en mettant tout le temps la tête à la place de sa queue comme des bêtes à la broche solaire, c'est de la gyroscopie animée. (...)

-  Et rourghe, c'est la ruée, c'est la raout de toutes ces bêtes qui gambadent autour de la roue circulaire que dessine les cadrans solaires j'imagine, dit Alice surprise de sa propre ingéniosité.

Antonin Artaud. "L'arve et l'aume".

FRANCIS BACON. LE CRI.
FRANCIS BACON. LE CRI.
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LYOT SENDER (extrait)

15 Janvier 2020

Maman, il fait froid ce matin, mon corps grelotte du manque de ta présence, mon corps agonise sur la beauté des champs qui ont accueilli mon corps d'enfant lorsqu'en perce neige, je m'écroulais, lourde, sur la fragilité des pétales. Le son victorieux du torrent non loin, sa rumeur envahissante et tonique qui semblait se répandre sur mes jours comme une eau neuve, fertile, riche en promesses d'avenir ! Cette eau que j'appelle à boire, pour guérir, me relever, repartir, croire, croire encore que le temps me reste, que je vais m'éveiller, quitter ce mauvais rêve, ce scénario pervers où je n'ai qu'un rôle de pâle figurante ! Non, non, ce n'est pas moi, je crie ! Non, non ce n'est pas moi je rage ! N…oooon !!!!
Je me réveille de tous les mots que j'ai jetés au monde, de tous les mots que j'ai jetés à l'autre, pour revenir au monde ! Une minute seulement en visitant ses bras ! Je me relève de souillures sans nom, qui me font oublier jusqu'à l'âcre délice d'un pétale d'anémone ! Je me relève encore pour fuir les larmes, pour jeter mon filet à l'angoisse, la rapter, la capter, loin des rumeurs de mon cœur qui se lasse et s'embrase en feu de douleurs ! Douleurs bruyantes d'où je m'extrais pour fuir ! Car je veux vivre, je veux le trouver, sans fin, sans entraves, le trouver, me joindre, m'adjoindre, à la folle expression de son être comme une danse ! Une danse hors du cercle infernal de l'absence, une valse qui m'essouffle, m'engourdit, m'anéantit, m'enivre jusqu'à me déposer exsangue aux lisières ourlées dorées de mon enfance qui ont la blancheur de ta peau maman, la beauté de tes jambes et de tes bras de jeune femme, le sourire victorieux de tes dents habiles à repousser toute crainte qui me gagne, je t'appelle et t'appellerai sans fin, au-delà de ma vie, au-delà de la mort, comme la compagne indissociable de mon souffle !
Merci d'être et d'exister. Je t'embrasse, je pense à toi.
L.C. "Lyot Sender". @2006

Capture d'écran. Dany Carrel dans "L'enfer" de Clouzot. essais.

Capture d'écran. Dany Carrel dans "L'enfer" de Clouzot. essais.

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POLONAISE

15 Janvier 2020

Pourquoi j'écris que ça "souffre une Polonaise" !
C'est ma rencontre avec Germaine Tillion, rescapée du camp de Ravensbrück , tout comme ma marraine, qui m'a permis de connaître certains faits. Je pouvais en la compagnie de ces femmes qui avaient accompagné la dépouille de Milena Jesenska la traductrice de Kafka, elle aussi présente dans ce camp, aborder le traitement réservé aux Polonaises. Un département particulier dans le camp était consacré à des expériences médicales monstrueuses. On les surnommait "les Lapines". Germaine Tillion y consacre quelques chapitres dans son ouvrage. Le nombre des victimes, les listes de chaque population féminine, ce calcul m'a glacée à la lecture.
En écrivant mon texte, je pensais à ce travail de mémoire qu'il est important de mener et de conserver.
Quand je tape aujourd'hui dans le moteur de recherche "expériences médicales sur Polonaises" : cette image. Très peu. On ne sait pas !
Heureusement qu'il existe donc l'ouvrage de Jonathan Littell "les Bienveillantes", un travail de fond qui ouvre une perspective tout autre.
Je rajoute que certaines déportées , (cela aurait pu être mon cas, si je ne m'étais pas fait abattre d'entrée en tentant de m'échapper ), devaient se trouver dans les "Joy Division", les départements réservés au plaisir des SS.

Cf : Le film : "Portier de nuit" de Liliana Cavani.

POLONAISE
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LA ROBE - LA NOIRE - L ASSASSIN

15 Janvier 2020

J’entends tous ces hommes qui m’embrassent, je n'ai pas fait exprès toutes ces percussions ! C’est un vent qui s’engouffre froid, violent aux plumes des oiseaux. Des oiseaux qui bruissent de leurs ailes, dans un appel tenu, égrillard, tout en plaintes, un appel qui cherche le repos et la paix. Des bras. Mais lesquels ?... Ceux des branches des arbres qui s'ouvrent, quand je les fends de mes galops. Au petit matin. A l’heure bleue.
Sonorités de cuivre que font les fers de mon étrier valeureux et fidèle, sonorité de cuivres qui éclabousse de bave les brins d’herbe mouillée. Sonorité de cuivre, haleine bruyante de ma monture, que je mène, entre mes cuisses qui s’excisent des gonflements de mes ardeurs d’homme terrible et assassin.
Il m’a couvert d’une cape qui claque dans le vent, une cape noire pour m’ouvrir ses bras, me dire, jette toi, n’aie pas peur, va, enfourche et fonce, va, remonte le temps des douleurs et des vacarmes, le temps des crimes et des outrages, va sans peur, remonte jusqu’à aller enfin, le quémander, ce pardon !
Mon ami, mon amour, c’est un round nos deux corps en contre attaque ! Un round de misère et d’appel, un round pour convaincre le temps de bien vouloir arrêter sa course, nous laisser un instant en appel ! Un instant, goûter à nos lèvres l’un l'autre, un désir de s’enfuir l’un et l’autre dans un temps, des effluves, des parcelles de lumière à décrocher le ciel !
Et je l’ai capté le soleil dans tes yeux, je l’ai capté quand mes reins ont reconquis les tiens, quand mes reins se sont soumis aux tiens !
Et voilà que j’ai épousé tes hanches, que j’ai épousé les galops de ma monture noire qui m’emporte au matin, vers la demeure du repos.
Mon antre, ma maison violente, ma maison hantée de rêves et de perditions, ma maison des bois, où brûle le feu de tous mes crimes !
Et là, je lâche. Je m’adosse à la rampe de pierre, je me brûle aux tisons, mais je lâche !
L.C. "La Robe. La Noire. 2013.

P.S : c'est le souvenir de la bête, mon cheval qui est toujours dans la mémoire de mon ADN qui m'a mis sur la voie.

LA ROBE - LA NOIRE - L ASSASSIN
LA ROBE - LA NOIRE - L ASSASSIN
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LA ROBE - LES NAUFRAGES.

15 Janvier 2020

Les naufragés

Elle a atterri sur une toile sans le savoir, comme on glisse sur une peinture encore fraîche, un tube mal refermé, dans les aplats délicieusement fauves de "Michaella", paf  ! en plein dans "La Robe violette", devant "La Porte noire" et rejoint "La Jeune fille devant la fenêtre".

Matisse avait quitté depuis peu l’hôtel Regina, à deux pas, pour s’installer à Vence. Elle se retrouvait pas loin de la galerie Romanin où Jean Moulin avait développé son réseau clandestin, accueillant plus tard, les acteurs et les comédiens jouant au Palais de la Méditerranée ou au studio de la Victorine. La voilà, d'un coup, à quelques heures de Saint-Laurent-du-Var où Jean Gréville, Abel Gance, Marcel L’Herbier , Julien Duvivier ou encore Jean Carné sont venus tourner. La zone libre. Mais depuis les équipes de tournage se sont repliées.

Hier encore, les Russes plein les rues, elle se précipitait à l’hôpital récupérer ma mère atteinte ce jour là d’une maladie enfantine. Et elle s’est ruée à travers le désordre des rues, la pagaille de l’invasion pour venir la retirer de là, la petite, seule dans cet hôpital, isolée, sans personne, plus personne, les sirènes, le cauchemar, le vacarme le bruit, les langues étrangères , effrayée, elle n’entendait que ça ! La débâcle !!! La fin qui allait les projeter où ? Et bien là.

De Silésie, au camp de Brandebourg, elle atterrissait au Cimiez, Nice.Toujours aussi petite, vaillante, inquiète, sa dernière née dans les bras, perchée sur ses semelles socles. Un grand chignon sur le haut du crâne, blonde. Les yeux petits perçants, un regard limité mais bleu, d’un bleu pervenche où même l’effroi un moment se suspendait à la couleur.

La guerre venait de se terminer, la ville était meurtrie par toute la répression et les années de privations qu’elle avait du vivre.

 Elle ne parlait qu'allemand. Comme si le tournage n’était pas fini, comme si tout n’avait pas été rempilé pour une autre représentation, un autre public. Elle chantait toujours « Lili Marlène » et elle le chantera toujours pour nous, allez mémé, allez, avec cette cigarette au bord du bec qui lui demeurera toujours associée !

 Polonaise ne parlant que l’allemand avec celui qui l’a menait là.
C’était leur langue. Celle qui leur avait permis d’échanger, de se rapprocher au-delà des barrières et des barbelés, celle qui leur avait permis de s’aimer, et ici, où plus personne ne voulait la tolérer, ils continuaient comme si de rien n’était !

 

LA ROBE - LES NAUFRAGES.
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LA ROBE

15 Janvier 2020

Sur le sentier où les liserons s’enchaînent aux nœuds des pierres, elle traîne ma robe bordée de minuscules clochettes qui tintent sur chaque écorchure du chemin.
Chaque son répercute dans l’onde des herbes visitées de serpents à sonnettes, une douleur cachée, une vibration qui s’échappe de la fente des blessures pour gagner le soleil et venir y sécher. Une gouttelette d’un sang frais comme celle qui s’échappe du blair d’un lapin estourbi qui regarde encore droit devant lui, un espace qui ne représente plus rien. Tout a fui, la fraîcheur des sentiers qui le menaient au terrier, le craquant du fenouil, la tendresse d’une fraise ronde dérobée à l’aube du pommier. Des senteurs de figuiers montent inonder la route qui brûle sous les éclats du midi, et les petites clochettes n’en finissent pas de vibrer aux plis de ma robe qui s’épanouit sous la conduite de mes pas. Elle fait des rondes qui dessinent des cercles sur l’arène de la terre craquelée par le soleil. L.C. "La Robe".
La robe pastel et collage (février 2014)

LA ROBE
LA ROBE LA ROBE
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Lydie Canga. Kino Sens 2 : Mass Medias. 2004.

15 Janvier 2020

Je me sens impuissante à sortir du cercle infernal des images qui nous parviennent, se démultiplient, s'affolent, se dédoublent et se génèrent comme une cellule cancéreuse devenue folle de devenir mère ! Mère de désolation, mère d'un obscur mercure qui ne saisit plus que l'affolement d'un temps qui croupit et se vautre dans le spectacle de ses propres mensonges. Irrationalités qui nous supplient d'y adhérer. Mères qui violentent leurs propres progénitures ou les donnent en pâture sous les yeux aveuglés de parjure. Femmes cagoulées ou femmes hystériques en proie à la destruction de leur propre chair.
Caméras qui saisissent jusqu'à l'intime échange de chairs molles, regonflées de silicone jusqu'à la pointe d'un pubis qui n'appartient plus qu'à une génération qui s'effondre dans l'orgasme du double, du même, du sans retour de l'abject.
"Là où ça sent la merde ça sent l'être" (cf Artaud).
Plus que jamais "la merde" s'est rafraîchie de sang, d'un sang qui s'écoule lentement sur l'image d'une génération plus meurtrière encore, parce que détournée en vue du crime, l'image de nos écrans d'ordinateurs connectés sur l'effroi qui les dédouble de figures inlassables, cherchant à vaincre la vie.
Je te conspue, j'apostille les ténèbres de ta chute, j'appelle de toutes mes forces la beauté et la pureté d'un être qui se perd dans les dédales d'une vérité enfouie. Elle a du mal à tenir ! Mais je l'appelle, cette vérité, de toutes les forces que le cri seul peut mettre en mes lèvres : ETRE !
Lydie Canga. Kino Sens 2 : Mass Medias. 2004.Lydie Canga. Kino Sens 2 : Mass Medias. 2004.
Lydie Canga. Kino Sens 2 : Mass Medias. 2004.Lydie Canga. Kino Sens 2 : Mass Medias. 2004.
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LYOT SENDER

10 Janvier 2020

Sister !

Elle était rouge comme une déflagration purulente, une masse veineuse et cannibale qui s’engouffrait au cerveau pour y absorber toute conscience.

Elle recouvrait toutes les sales odeurs de l’être, vengeait toutes les tentatives que cette création énergétique et cellulaire jette en aléatoires au destin, pour rafler toute mini vibration d’affect.

Elle puait le membre qui ne sait plus vers quoi se tendre, et s’autorégulait, s’autofécondait pour accoucher d’une descente vertigineuse, anémiante vers le rien, la perte.

Elle se ruait dans les couloirs glacés de l’absence pour lui ôter tout parfum d’embaumement… Virait comme un ressac violent dans les coudées des rues et balayait l’espace déchiré de ses rafales cinglantes, pour en rapporter quelques images déstructurées du dôme de la gare de Lyon, au matin.

6h45. Il sentit comme un galop de bruits sourds sur la peau tendue de ses tempes, un riff de guitare obsédant.

« Nobody’ scared ».

Il n’entendait plus rien, avec comme seules perspectives au loin, les feux aléatoires de la signalétique routière, là-bas, sur la voie du périphérique extérieur, quand des mouettes affolées du va-et-vient, un instant réarticulées, s’agaçaient maintenant pour le ramener du lointain.

Du coup, il sentit le froid. Il remonta son col, alluma nerveusement une cigarette. Comme un spectre, le visage de la fille s’anima. Ses yeux délavés par les irradiations de formol le fixèrent jusqu’à ce que les linéaments fauves de l’iris se distribuent de manière obsédante, en cercles vagues, sur le périmètre de stationnement de l’Institut médico-légal.

La brume se leva. Et des fleurs mortuaires comme languissantes d’humeurs, s’extrairent du vide afin de disperser l’amas de mouches gluantes, qu’il avait surpris sur sa bouche, les lèvres labourées par les découpes de la bande adhésive, au cutter.

Une brûlure au menthol roussit la seconde et s’enroula à ses doigts graciles et tendres, quand il tira sur sa cigarette. Au-dessus des toits de Bercy, les bouffées exhalées par ses lèvres, inscrivaient de rares idéogrammes. Quelque chose de linéaire et vague. Une réminiscence, en ritournelle, comme un saut de notes sourdes dans l’écho du  ferment matinal.

Il en resta figé. L’odeur de merde et de pipe à crack remonta de son médium jauni de nicotine. L’image vint fracturer l’écran de ses sinus. L’escalier bouffé d’urine ! Et le visage louche d’autres filles, sur l’heure, vinrent le solliciter ! Des peaux noires, blanches, mixées d’indiennes ! Entassées dans ce putain de couloir ! Ce couloir ! Sale ! À deux pas, La Chapelle !

Là ! Dans l’étroitesse du boyau, en station, sous la pacotille des textiles, leurs ventres à toisons cérusées s’animaient, venaient agiter ses pensées et lui rappeler leur quotidien violenté. La rue gaillarde, bruyante, désordonnée sous l’affluence des vendeurs d’épices et de noix de cajou, se révéla soudain. Et comme une sinusoïdale affilée au passage d’une rame sur la voie aérienne, il revit l’endroit précis où se dissimulait un peuple sourd de mâles transitaires proliférant en  insectes désorientés, contaminés par le flux d’un remarquable jus orgasmique !  

Lyot eut une lueur ! C’était ça ! Oui !...

Des crissements de pneus, soudain dans le désoeuvrement des ondes matinales ! Les mêmes ! Putain !…

Et, comme chargées d’étoiles en feu, des déflagrations lui soufflèrent à pleins poumons, la dernière respiration qui venait de surgir du souvenir ! Elle ! Iléna ! La pute au cul de rousse qui le hantait depuis huit mois !

Elle !  Blindée formol !

Il s’écroula sous l’impact d’une Otan 7.62, les yeux grand ouverts sur le ciel d’Austerlitz, où plus aucune constellation ne l’attendait.

 

LYOT SENDER
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